La scolarisation des Roms devant la justice

La maire de Sucy-en-Brie comparaissait mercredi pour n'avoir pas inscrit cinq enfants à l'école
Tout au long de l'audience, qui aura duré près de huit heures, Marie-Carole Ciuntu sera restée de marbre. La maire Les Républicains de Sucy-en-Brie (Val-de-Marne) comparaissait mercredi 1er  juillet devant le tribunal correctionnel de Créteil pour avoir discriminé cinq enfants roms en refusant de les scolariser dans sa commune. Son regard impassible tout au long des débats laissait croire qu'elle n'avait jamais envisagé la condamnation.

C'est l'une des premières fois qu'un maire comparaissait pour refus de scolarisation. La décision a été mise en délibéré au 2 septembre, mais le parquet a requis la relaxe au bénéfice du doute.
Le père d'un des cinq enfants roms, Tanase Sorin, a expliqué avoir déposé plainte pour " éviter que ça continue ".La scolarisation de son fils aîné, Vasile, lui avait déjà été refusée dans une autre commune, à Montgeron (Essonne), au motif que " mon installation était illégale ". Tanase Sorin a débarqué à Sucy-en-Brie en juin  2014, sur un terrain de Réseau ferré de France, avec 70 autres personnes. " Quelqu'un de la mairie et des policiers municipaux sont venus dans le camp et m'ont dit que ce n'était pas la peine d'inscrire les enfants parce qu'on allait partir. "

Au président de la chambre, M.  Philippe Michel, qui ne comprend pas pourquoi les familles ont attendu le 30  septembre pour lancer des démarches, M.  Tanase répète qu'on l'en a d'abord dissuadé. Son avocat précise que les enfants n'ont été à jour de leurs vaccinations que le 25 septembre, condition légale préalable.
" Discrimination raciale "
Le 30  septembre donc, une militante de Romeurope 94 habituée à scolariser des enfants dans le département, Aline Poupel, se présente à la mairie avec cinq dossiers. Elle raconte : " L'agent d'accueil du service de scolarité m'a dit qu'elle ne pouvait pas prendre l'inscription, que c'était une décision catégorique du cabinet. " Mme Poupel adresse un courrier à la maire le jour-même, lui demandant de revenir sur sa décision. S'en suivent plusieurs courriers de mise en demeure, adressés par l'association Romeurope et le MRAP (Mouvement contre le racisme). La mairie reste silencieuse. Le 10  novembre, une citation directe pour " discrimination raciale " est déposée contre Mme Ciuntu. Quelques jours plus tard, le camp de roms est démantelé.

Sur l'enchaînement des faits, les versions divergent à la barre. La maire jure que " la commune scolarise tous les enfants " et explique ne pas avoir donné suite aux courriers parce qu'il " fallait que je prenne le temps de réfléchir ". " C'est une affaire montée de toutes pièces, un procès politique qui m'est fait ", a répété l'édile, pointant du doigt l'avocat de Romeurope, Me  Jérôme Karsenti, ancien élu de l'opposition de Sucy-en-Brie. Mme Ciuntu a également voulu souligner " l'exaspération de la population " devant l'installation régulière de campements roms dans sa commune.

Lus par le président du tribunal, les témoignages écrits de l'agent d'accueil de la mairie et de la chef du service de scolarisation ont laissé entendre que l'inscription des cinq enfants avait été refusée au motif que leurs dossiers étaient incomplets, faute de justificatif de domicile. Le tribunal s'est longuement attardé sur cette pièce. L'avocat du Défenseur des droits, autorité indépendante saisie de l'affaire et qui présentait mercredi ses observations, a tenu à recadrer les débats en rappelant que le document en question n'était pas obligatoire : " Même si la famille ne peut pas présenter certains documents, l'élève doit bénéficier d'une inscription provisoire. C'est la loi de la République, a insisté Me Nicolas Demard. L'intention discriminatoire apparaît caractérisée. "

Au cours de leurs plaidoiries, les parties civiles, le Groupe d'information et de soutien des immigrés, Romeurope, La Voix des Rroms et le MRAP ont voulu donner au procès une " valeur d'exemple ". " Nous ne sommes pas devant un tribunal d'opinion " a, au contraire, estimé le substitut du procureur, Jérôme Piques. Il a porté un regard compréhensif sur le silence de la maire " à partir du moment où les personnes vont être expulsées et que le dossier d'inscription ne justifie pas du domicile ".

En France, plus de la moitié des enfants roms vivant dans les bidonvilles ne seraient pas scolarisés. Au-delà de la responsabilité de certaines familles, les associations dénoncent les expulsions à répétition et les refus opposés par les mairies pour expliquer ces absences de scolarisation. 

Julia Pascual

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